Candidats aux municipales et... scientifiques

Chercheurs en histoire, biologie, psychologie ou encore en physique : de nombreux scientifiques sont candidats aux élections municipales dont le deuxième tour se tiendra ce dimanche 28 juin. Comment concilier son travail de recherche avec un engagement politique local ?

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Cet article a été rédigé par Margot Brunet.

Vous connaissez un scientifique engagé en politique ? Bien sûr, Cédric Villani ! Mais celui qui a remporté la médaille Fields en 2010 est loin d’être le seul. A l'étranger, l’exemple le plus illustre est sûrement celui de la chancelière allemande, titulaire d’un doctorat en chimie quantique. En France, le mathématicien Paul Painlevé a été plusieurs fois président du Conseil et ministre, entre 1915 et 1933. Et même aux élections municipales de cette année, Cédric Villani n’est pas une exception. Si aucun chiffre n’existe sur le sujet, quelques recherches suffisent pour trouver des candidats scientifiques. Que ce soit dans les plus grandes villes du pays ou dans des municipalités de moins grande envergure, en tant que tête de liste ou non, parmi ceux que nous avons interrogé, un consensus : cet engagement politique est fortement lié à leur carrière scientifique.

Chacun ses débuts

C’est sa passion pour l’écologie qui a conduit Stéphane Baly à être la tête de liste d’Europe Ecologie les Verts (EELV) aux municipales de Lille. Ses deux « carrières », politique et scientifique, l’enseignant-chercheur en sciences pour l’ingénieur les a démarré conjointement. Lorsqu’il adhère à EELV, en 1998, il n’a débuté sa thèse que depuis un an. Depuis 2014, il est conseiller municipal à Lille et n’exerce sa carrière scientifique qu’à mi-temps.

C’est aussi pendant sa thèse que Cyrille Marconi, candidat à la mairie de Pau, a rejoint le parti pour lequel il milite encore aujourd’hui, Lutte Ouvrière. « Il y avait un lien avec ma thèse, je travaille sur l’histoire du droit social », explique l'enseignant-chercheur en histoire du droit. Nicolas Maury, doctorant au Centre National de Recherche Météorologique, à Toulouse, a lui fait ses premiers pas en politique avant que ne débute sa carrière de scientifique. Il participe à la campagne de François Hollande en 2012. Il n’a alors que 17 ans. « Puis en master, j’ai vu un vrai lien entre mes apprentissages scientifiques et mon envie d’engagement politique. Peu à peu, la question environnementale est devenue ma principale occupation : c’est l’idée d’Archipel Citoyen ». C’est sur la liste portée par ce mouvement qu’il était candidat au premier tour des élections municipales à Toulouse.

C’est au contraire une fois la thèse obtenue que Bastien Bernela, candidat en deuxième position de la liste de Poitiers Collectif, a eu le temps de se consacrer à la politique. « En devenant maître de conférences, un an après avoir fini ma thèse, j’étais mentalement disponible pour m’engager. Mais je n’aurais pas pu le faire en parallèle de la recherche d’un poste », confie-t-il. Ombelyne Dagicour, candidate sur la même liste à la septième position, est elle aussi titulaire d’un doctorat, en histoire cette fois. C’est aussi peu après la soutenance de sa thèse qu’elle a rejoint mouvement politique. L’une des raisons de son engagement ? Son statut de vacataire : « En SHS, c’est difficile de trouver un poste de titulaire. Ce statut m’a mis face à des problématiques de précarisation et d’insertion professionnelle. C’est pour cela que je m’engage contre les inégalités », livre-t-elle.

« Je mets directement mon expertise universitaire au service de notre projet politique »

A l’université de Poitiers, les recherches de Bastien Bernela portent principalement sur le système d’enseignement supérieur et de la recherche. « En m'impliquant en politique, je me suis donc naturellement tourné vers les groupes travaillant sur le développement économique et l’éducation et l’enseignement supérieur », explique-t-il. Une façon pour lui de mettre directement son expertise universitaire au service de son projet politique. Des travaux de recherche et une activité politique qui sont également indissociables pour Nicolas Maury. « Parfois, en campagne de mesures sur le terrain, je vois ce qui pourrait être fait à Toulouse, raconte celui qui travaille notamment sur l’impact des aérosols sur les nuages. Plus on émet d’aérosols, moins les gouttelettes dans le nuage sont grosses, moins il pleut. Alors, à Archipel Citoyen, j’ai milité pour qu’on fasse un focus sur les moteurs thermiques des voitures qui rejettent des aérosols ! ».

« La recherche, c’est le fait de partir de la réalité »

Plus que ses recherches en elles-mêmes, c’est selon Stéphane Baly sa posture de scientifiques qu’il réinvestit dans le champ politique. « L’atout d’une formation scientifique, c’est la méthodologie. En science, on part de faits, et c’est aussi important de garder cet état d’esprit en politique », développe-t-il. Un recul dont il assure qu’il lui a permis de mieux appréhender la crise sanitaire. « Le fait d’avoir un regard scientifique permet aussi de ne pas céder à la panique, de mieux lutter contre les fake news ou les emballements médiatiques comme il y a pu en avoir pendant le confinement ». C’est ce rapport à la réalité qui l’a porté à s’engager à l’échelle locale. « En tant que scientifiques, on essaie de comprendre le monde : je crois qu’au niveau municipal, en discutant directement avec les citoyens, c’est aussi ce qu’on fait ».

C’est d’ailleurs un consensus parmi ces chercheurs politiques : ils s’imaginent mal - voire pas du tout - participer à une autre élection que les municipales. L’engagement de Bastien Bernela est fortement lié à son attachement à la ville de Poitiers, et à son caractère étudiant : sur 128 000 habitants, 27 000 sont des étudiants. « Je travaille sur l’enseignement supérieur, ça a donc encore plus de sens dans le faire ici ». C’est aussi la rapidité d'exécution d’actions concrètes qui l’a poussé à se porter candidat aux municipales, à l’instar de Nicolas Maury. « Même si je pense que les questions écologiques doivent être gérées à bien plus grande échelle, la mise en œuvre est plus rapide au niveau municipal », poursuit le doctorant en météorologie.

Photo : Arnaud Jaegers

«Les chercheurs ont surtout un rôle d’éclairage des débats socio-économiques »

Alors, est-il primordial que des chercheurs se portent candidats à des élections ? « Tous les corps de métier doivent être représentés en politique », répond Ombelyne Dagicour. Cette idée fait consensus parmi les six chercheurs. Hors de question que les scientifiques soient surreprésentés, assure son colistier : « il serait dramatique que les enseignants chercheurs, et plus largement l’élite intellectuelle, prennent toutes les responsabilités de la chose publique. Et être enseignant-chercheur ne garantit pas d’être un bon élu ». Pour Nicolas Maury, être élu permet cependant de faire entendre la science dans les programmes politiques. Mais tous s’accordent à dire que l'on peut porter une parole scientifique cela ne passe pas forcément par un rôle d’élu.

« Les chercheurs, et de surcroît selon moi les chercheurs en sciences humaines et sociales, ont surtout un rôle d’éclairage des débats socio-économiques », poursuit Bastien Bernela : cela peut se manifester par des rôles de conseillers ou encore associatifs. Pour Stéphane Baly, cet engagement associatif est d’ailleurs tout aussi important que ses implications politiques et scientifiques. « Ce sont les allers et retours, les pieds dans différents champs, de l’expertise citoyenne à la rigueur scientifique en passant par la décision politique qui me nourrissent ! », décrit le candidat à la mairie de Lille.

« Pas question de porter une étiquette à l’université »

A l’inverse, leurs activités politiques influencent-elles leurs activités de recherche et d’enseignements ? Cyrille Marconi, tête de liste Lutte Ouvrière à Pau, affirme qu’il n’hésite pas à transmettre sa vision politique de l’histoire du droit à ses étudiants. « Souvent, on veut imposer l’idée d’une recherche impartiale, objective, détachée, analyse-t-il. On attend donc d’un enseignant qu’il soit au-dessus de la mêlée et objectif; au contraire, j’ai la volonté de faire évoluer mon objet de travail, en l'occurrence l’histoire du droit, sous le prisme des idées que je porte ». Nul soucis, donc, pour lui, que son engagement soit connu de ses collègues universitaires ou étudiants.

Beaucoup évitent au contraire de faire connaître largement leur engagement politique à l’université. Marcel Lourel, candidat à la mairie de Sin-le-Noble, commune de 15 000 habitants dans les Hauts de France et maître de conférences en psychologie sociale, a fait « une information cordiale » de son engagement politique à ses collègues. Mais « pas question de porter une étiquette à l’université ». Pas question non plus qu’un engagement politique ne perturbe son agenda de recherche, construit avant de débuter un engagement politique, assure Bastien Bernela. Alors, pour concilier les deux, c’est « un jeu d’équilibriste permanent ».

Jongler entre deux agendas

Également père de deux jeunes enfants, le pictavien compte sur la souplesse du statut de maître de conférence pour s’organiser. « Il faut jongler entre deux agendas, et trouver le temps de se reposer ! », plaisante Marcel Lourel, qui doit concilier encadrement de thèses, cours, séminaires de recherche, et réunions politiques. Comme Cyrille Marconi, la plupart ont suspendu leurs activités de recherche le temps de mener la campagne. Pour Nicolas Maury, la difficulté est aussi de « réussir à garder les idées claires pour ne pas remettre en cause sa carrière, mais ne pas délaisser non plus son engagement politique ». Alors certains jours, il travaille 3 heures seulement sur sa thèse, d'autres 15 heures. Lorsque l’engagement politique devient trop important, certains choisissent de mener leurs travaux de recherche à mi-temps, à l’instar de Stéphane Baly, qui se cantonne désormais aux responsabilités pédagogiques.

Et après ?

Au premier tour des élections municipales, peu avant le confinement, sa liste a obtenu 24,5% des sondages à Lille, ce qui la place en seconde position derrière la liste de l’Union de la gauche portée par Martine Aubry. Même position pour Poitiers Collectif, liste sur laquelle figurent Bastien Bernela et Ombelyne Dagicour, qui a recueilli 23,9% des sondages. Quoi qu’il en soit, celle-ci affirme que son engagement ne s’arrêtera pas là. « Je ne veux pas revenir en arrière, les enjeux sont primordiaux : sociaux, économiques, démocratiques, écologiques… Si on ne gagne pas les élections, je m’investirai dans mon mandat d’opposition », raconte-t-elle.

Pour Cyrille Marconi, pas de second tour : la liste Lutte Ouvrière à Pau a obtenu 2,25% des voix. Pas question d’en rester là pour autant : « lorsque je suis arrivé à Lutte Ouvrière, j’ai choisi d’y accorder une place importante dans ma vie, même si cela doit passer devant mes travaux de recherche ». A Sin le Noble, il n’y aura pas de second tour, puisque le maire sortant a été réélu en mars. Nicolas Maury n’est plus sur la liste d’Archipel Citoyen, à Toulouse, mais restera très engagé, notamment dans des associations. Une certitude, donc : tous continueront de porter leur regard scientifique en politique.