Comment peut-on être contre le médiatraining des scientifiques ?

Ou pourquoi la recherche du storytelling scientifique peut être une mauvaise idée.

Il y a quelques semaines, j’étais invité à participer à une émission. Le thème en était le média training des scientifiques - ces formations où on leur explique comment rendre leur discours compréhensible des journalistes qui les interviewent.

L’animateur m’a notamment demandé ce qu’était un “bon client”, autrement dit qu’elles étaient les qualités, notamment oratoires, que les journalistes recherchaient chez un scientifique.

Je pense l’avoir un peu déçu en répondant que, dans l’ensemble, les chercheuses et chercheurs que je rencontrais savaient déjà fort bien se faire comprendre et qu’ils n’avaient guère besoin de médiatraining.

Au reste, demander aux scientifiques d’apprendre à s’expliquer simplement n’a de sens que si, symétriquement, on incite les journalistes à se former un minimum aux enjeux et aux vocabulaires scientifiques. Sans quoi, on n’aura fait que la moitié du chemin qui doit mener vers leur plus grande compréhension mutuelle. Or, sur ce sujet, malgré des initiatives comme celles de l’AJSPI, qui organise par exemple des visites de labos, il reste sans doute un peu de boulot.

Cela dit, je passe moi-même beaucoup de temps à interviewer des scientifiques. Et je suis bien conscient que toutes et tous ne sont pas à l’aise avec l’exercice. Alors, pourquoi si peu d’enthousiasme à les voir se former à la prise de parole face à une caméra, devant un micro ?

Pour au moins trois raisons.

D’abord, de ce que j’en ai compris, la recherche scientifique est une activité faite d’eurêkas - un peu - mais aussi de ratés, d’erreurs, de pivots, de conflits même. Mettre ces vicissitudes sous le tapis au prétexte qu’elles gâchent le storytelling, c’est donner une image superficielle de la science. C’est aussi se mettre dans la situation délicate d’avoir à expliquer ensuite au public, à qui l’on a si bien vendu telle ou telle success story scientifique, que la découverte n’était en réalité qu’une trouvaille ou que l’innovation technique avait des effets délétères.

Ensuite, à force de demander aux scientifiques de rendre leurs propos clairs et percutants, on obtient sans doute des prises de parole certes bien huilés mais aussi bien lisses et stéréotypés.

Enfin, ce qui intéresse la ou le journaliste, notamment parce qu’il est sensé être à la recherche constante de sujets originaux, c’est le pas-de-côté, l’inattendu, la rencontre. C’est ce dispositif technique génial, caché dans un carton, qu’on découvre au hasard lors d’un rendez-vous avec telle chercheuse ; c’est cette idée originale qu’on n’aurait pas entendue si l’on n’avait pas passé une heure et demie au téléphone avec tel chercheur un peu bavard.

Pour les six épisodes de la série lieux de science, je visite vingt-cinq sites scientifiques partout en France.

Je n’y vais pas avec un script à la main, et je n’attends pas que les scientifiques à qui je rends visite me récitent la belle histoire de leur découverte en 3500 signes espaces compris, comme s’ils voulaient me vendre quelque chose.

Dans les relations entre les médias et la communauté scientifique comme ailleurs, la confiance procède d’une vertu plus importante que la maîtrise de l’art oratoire, vertu que je reproche aux communicants et agences de médiatraining de vouloir gommer, intentionnellement ou non.

Et cette vertu, c’est l’honnêteté.


🍒 Cherry picking

Une sélection de liens 100% subjective

  • Trump contre Biden : quelles conséquences de l'élection de l'un ou l'autre candidat sur la science aux Etats-Unis ? C'est ce que se demande Nature
  • Dans cette lettre ouverte adressée à Delphine Ernotte, Présidente de France Télévisions, l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information (AJSPI) fait part de son "inquiétude quant à la place
    réduite qui semble accordée désormais aux sciences sur les antennes de
    France Télévisions"
    .
  • Dans The Conversation, Clémence Perronnet demande si les scientifiques héroïnes de fiction influencent les choix d’orientation des adolescentes. (Spoiler alert : "les adolescentes ont besoin de rencontrer des femmes scientifiques ordinaires et accessibles")
  • Dans une tribune parue dans Le Monde, François Graner, chercheur au CNRS, s’interroge sur la part que la science prend dans "une croissance économique destructrice"
  • Les chercheurs de l'Inserm estiment qu'il existe « une crise de confiance grave entre la science et la société ». C'est ce que montre l'enquête menée auprès de 1240 personnel de cette institution réalisée par deux chercheurs du Gemass, Catherine Guasparre et Michel Dubois, que j'avais interviewé lorsqu'ils avaient dévoilé le résultat d'une enquête similaire menée auprès des agents du CNRS

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A (re)voir sur la chaîne

Chaque année, le 8 mars, on célèbre la journée internationale des droits des femmes. Chaque année, la même expression revient : celle du "plafond de verre". Mais de quoi est-il fait, au juste ? Dénoncé depuis des années, pourquoi existe-t-il encore ? Et comment faire pour le briser, pour de vrai ?

On en discutait dans ce live organisé avec Anne Boutin, membre du bureau de l'Association pour les femmes dirigeantes de l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation (Afdesri), Isabel Torres, éditrice scientifique, co-fondatrice de l'association "Mothers in Science", Nadine Halberstadt, directrice de recherches au CNRS, membre de l'association Femmes & Sciences.