Les métiers méconnus de la science

Vous n'en entendez quasiment jamais parler, et pourtant ils font partie intégrante de la communauté scientifique.

Quand on pense à la recherche scientifique, on pense d’abord aux chercheuses et aux chercheurs, aux enseignants-chercheurs et aux enseignantes-chercheuses. Et pourtant, la communauté scientifique ne se réduit pas à eux.

A côté des chercheurs, il existe d’autres professionnels qu’on regroupe souvent sous l’expression ITA ; pour Ingénieurs, Techniciens et Administratifs.

A vrai dire, on ne parle pas beaucoup de ces métiers.

Et c’est dommage, d’abord parce que cela laisse penser que la recherche scientifique n’est faite que par des chercheuses et des chercheurs ; ensuite parce que beaucoup de ces professions sont passionnantes en elles-mêmes et que parler d’elles, c’est parler de science dans sa dimension la plus concrète, j’allais dire la plus artisanale, et donc donner à voir l’activité scientifique sous un jour différent.

Dans cette vidéo, je vous propose de mettre un coup de projecteur sur quatre de ces professionnels, qui font des métiers aussi importants que méconnus.

Sophie Fernandez, illustratrice scientifique au MNHN

Je vous emmène d’abord à la rencontre d’une illustratrice scientifique.

Sophie Fernandez travaille au Muséum national d’Histoire naturelle, à Paris, au laboratoire de paléontologie au contact de chercheuses et chercheurs qui ont besoin de son talent d’illustratrice. Pour simplifier, on pourrait dire qu’elle les aide à faire deux choses : représenter et reconstituer.

Le premier aspect, c’est représenter des données scientifiques, comme des fossiles, par exemple. Comme ce dessin d’un fossile de homard, qu’elle réalisé pour l’article publié par une équipe de paléontologues du MNHN. Et ce travail de représentation ne se réduit pas à une reproduction technique virtuose : le dessin est un outil d’observation en tant que tel.

« Dessiner, c’est observer. Lorsqu’on passe au dessin d’un objet, on va le regarder d’une autre manière… En passant à l’action dans l’acte de dessiner, on va voir des choses que le scientifique n’avait pas vu. Notre regard permet de comprendre l’objet, le fossile, c’est ça qui est très intéressant en tant qu’illustrateur. » Sophie Fernandez

Le second aspect du travail d’illustratrice scientifique, c’est la reconstitution d’animaux qui ont disparu, avec ou sans représentation de leur environnement, la plupart du temps pour des expositions destinées au grand public.

C’est par exemple ce que Sophie Fernandez a fait pour le Mammouth de Durfort. Le squelette de ce mammouth, découvert dans un village d’Occitanie en 1869, après avoir été complètement restauré, a été réinstallé à l’été 2023 dans la Galerie de Paléontologie du Muséum. Pour l’occasion, Sophie Fernandez a conçu une reconstitution du mammouth dans son environnement, sur une grande fresque disposée le temps de la restauration, ainsi qu’une série de signalétique destinée à informer le public.

C’est vraiment dans ce travail de reconstitution qu’on mesure tout l’art de l’illustrateur ou de l’illustratrice scientifique, qui doit trouver un équilibre subtil entre l’imagination et le respect des connaissances scientifiques.

« En reconstitution, il y a cette spécificité ; c’est-à-dire qu’on va toujours essayer d’aller le plus loin possible on va toujours essayer d’aller le plus loin possible sur la véracité et sur la rigueur scientifique. Mais comme il y a une part d’inconnu - ce qu’on dessine n’existe plus - il y a toujours une part d’imaginaire, ce que nous on appelle la « paléopoésie ». C’est là, mais cela reste toujours en discussion avec le scientifique (…) pour pouvoir avoir un peu une part d’imaginaire, et supposer des couleurs, des détails de l’animal que l’on est en train de reconstituer. »

Cette « paléopoésie » dont parle Sophie, est-ce qu’elle sera un jour mise en concurrence avec l’IA ? Est-ce que son métier est menacé par le développement des intelligences artificielles génératives comme Midjourney et autre DALL-E ? Je lui est posé la question.

« C’est la grande interrogation les levées des illustrateurs ; j’ai envie de croire que le métier d’illustrateur continuera a perdurer ; al transmission des connaissance ne peut que perdurer. Après, le métier évoluera sans doute. L’objectif perdurera c’est la manière de faire qui changera. Peut-être qui faudra un jour former les illustrateur pour communiquer avec les IA pour leur apprendre à créer des illustrations. Il y aura toujours à formuler la question scientifique, ce qui doit être montré. Le design, la réflexion sera toujours présente. Je trouve que la transmission des connaissances peut se faire par plein de biais, si mon métier doit évoluer, j’évoluerai avec. On verra. »

Thierry Pain, souffleur de verre à Rennes (ISIR)

Le métier de la personne que je vous fait découvrir maintenant est tout aussi utile et méconnu que celui de Sophie, mais dans un style différent. Quoique. Dans les deux cas, vous allez le voir, la dimension artistique est bien présente.

Direction l’Université de Rennes, à l’Institut des sciences chimiques de Rennes, à la rencontre de Thierry Pain, souffleur de verre.

Le job de Thierry Pain, depuis trente ans, c’est de fabriquer et de réparer des instruments de verrerie scientifique pour les chercheuses et chercheurs, notamment des doctorantes et doctorants pour leurs expériences de chimie.

« Ils viennent me voir avec des plans, ou juste une idée en tête sur un montage ; je travaille aussi pour les TP, les travaux pratiques, où je conçois et répare les appareils en verre pour eux. (…) Déjà je regarde si c’est réalisable ou pas. Je regarde au niveau du montage si on peut le simplifier ou pas. Au niveau du coût, aussi, du montage. En fonction de ce qu’on me demande, je vais regarder si on peut supprimer certaines pièces ou pas. Donc en fonction de toutes les questions que je vais leur poser quand ils vont venir me faire la demande. Et ensuite je vais réaliser le montage. Les plans, c’est pas des plans industriels. C’est souvent des plans qu’on m’apporte sur Post-It. ».
Je sais que pour un laboratoire, par exemple, c’est une pièce par jour que je fais au minimum pour un seul doctorant. (…) En une année, j’ai minimum 800 à 1000 pièces qui sortent de l’atelier. »

Lorsque je suis venu le voir, Thierry Pain était en train de préparer un verre pour une remise de prix. Et c’est vrai qu’il y a quelque chose d’assez hypnotisant à voir travailler un souffleur de verre sur son tour de verrier.

Thierry Pain n’est pas seulement une bête de travail. Cet ingénieur d’étude est aussi quelqu’un de très inventif. Avec un collègue, il a mis au point un réfrigérant qui utilise uniquement l’air ambiant pour refroidir ses parois. Une façon de faire d’importantes économies d’eau.

Thierry Pain fait partie des 10 souffleuses et de souffleurs de verre qu’emploie encore le CNRS. Au total, il existe encore environ 200 souffleurs de verre en verrerie scientifique. Ils sont formés au Lycée Dorian, à Paris. Est-ce que ce métier risque de disparaitre ?

Si, c’est des questions qu’on se pose toujours. Là je regarde par rapport à l’époque où je suis arrivé au lycée Dorian et à l’heure actuelle, on reste toujours sur le même nombre d’élèves. 01:51 : « Mais vous craignez - Non, je ne pense pas ; on est tous rentré dans ce domaine par la passion ; c’est vraiment une matière… à nous de faire connaitre l’école, (…) c’est ce qu’on fait ici, avec les 3e par exemple. (…) Ils viennent ici en formation, découvrir le métier. Ça a été le cas pour deux. Ils sont partis au lycée technique Dorian. »

Brigitte Spiteri, lithopréparatrice à l’Université de Bordeaux

On retrouve cette dimension artisanale dans le métier de la personne dont je vais vous parler maintenant.

Elle s’appelle Brigitte Spiteri, elle est assistante ingénieure au laboratoire ArchéoSciences, à l’Université de Bordeaux Montaigne. Son job, c’est la lithopréparation.

« Une lithopréparatrice, c’est une personne qui prépare des lames mince de roche ou d’échantillons archéologiques. Une lame mince, ça ressemble à quoi ? Alors, qu’est-ce qu’une lame mince ? Je peux vous montrer. Voilà, c’est ça. Là, en l’occurence, c’est une fine couche de céramique collée sur une lame de verre, très fine, du coup qu’on peut observer au microscope. »

La lithopréparation permet d’examiner au microscope des roches mais échantillons archéologiques, comme des ossements, des marbres, des silex ou des céramiques. Quand je suis allé la voir, c’étaient justement des échantillons de céramique envoyés par un chercheur en Syrie que Brigitte Spiteri transformait en lame mince.

« Ça permet de faire de la caractérisation. On peut étudier l’argile qui constitue la céramique et puis ce qu’on y a mis dedans. Souvent, il y a d’anciennes céramiques concassées qui sont rajoutées à l’intérieur pour consolider. On étudie le ciment qui est donc l’argile. A partir de cette étude, on peut retrouver les sites dans lesquels ont été extraite cette argile. (…). A quoi ça sert tout ça ? C’est de retracer les trajets des céramiques, de sa confection, après ils ont été déplacés, ils ont voyagé. Et de pouvoir les dater et puis savoir à quoi ils ont servi. »

Faire une lame mince, c’est un travail tout en précision en plusieurs étapes.

D’abord, on découpe à l’aide d’une scie plus ou moins grande un morceau de l’échantillon reçu (C1612). Les échantillons sont séchés dans une étuve (C1612 - 3:33). Ensuite, on les imprègne de résine araldite. On commence par peser précisément la quantité de résine dont on a besoin, et on la mélange à un durcisseur. Sous une sorbonne, on verse cette préparation sur les échantillons (03:05 C1617) et, pour que la résine les imprègne bien, on les met sous vide (C1617) : la résine va prendre la place de l’air qu’on enlève - c’est les petites bulles qu’on voit, là. On laisse les échantillons dans cette sorbonne pendant deux jours pour que le durcisseur et la résine fassent leur effet. Et une fois le tout rendu très solide, on sépare les échantillons avec une débiteuse.

Ces échantillons recouverts de cette résine durcie, on appelle cela des « sucres ». Avec une polisseuse, on élimine les traces de scie laissées par la débiteuse pour que chaque sucre ait des côtés bien plans. Une fois polis, on refait sécher les sucres, et on vient coller une lame de verre sur l’une des surfaces. (01:16 C1635.MP4 où on me voit) On attend une bonne douzaine d’heures. Enfin, avec une scie d’arasement (C1635.MP4) on affine la lame, on en contrôle l’épaisseur, et on termine avec une rectifieuse. (résultats C1643-C1646).

Au final, après environ 5 jours de travail, on obtient une lame de 30 à 50 microns, en fonction de la roche.

La lithopréparation, un métier qui suppose de maitriser beaucoup de techniques différentes, se fait de plus en plus rare dans les organismes de recherche et universités. On compte en France aujourd’hui moins d’une quarantaine de lithopréparatrices et de lithopréparateurs. Car les postes sont loin d’être systématiquement renouvelés. Avec le risque de voir un jour ces savoirs-faire disparaitre.

C1649 - 4:26 - « Lorsque vous allez prendre votre retraite, est-ce que vous savez si la relève sera assurée derrière vous ou pas ? (…) J’aimerais beaucoup que ce poste continue de fonctionner et de former quelqu’un. Ça serait le moment d’avoir quelqu’un à former, là, maintenant. Mais le problème dans les universités, c’est que bien souvent les gens s’en vont, une autre personne est recrutée sur concours, mais ils ne se croisent pas, en fait. (…) Comme c’est un métier qu’on ne connait pas, on ne sait pas qu’il y a ce problème de la transmission. (…) Aujourd’hui on ne passe plus un concours de litholameleur, c’est des concours avec des connaissances générales en géologie, en chimie, en mesure physique, voilà. Donc, il y a des gens qui vont arriver, ils n’auront jamais faits ni vus de lames minces. Si on veut vraiment recruter avec un autre lithopréparateur, il faut qu’il apprenne avec un autre lithopréparateur, c’est incontournable. »

Brigitte Spiteri quittera son poste en septembre 2024 pour une retraite bien méritée. Bonne nouvelle, au moment de monter cette vidéo, j’ai appris que Brigitte serait bien et bien remplacée. Même si, comme elle le craignait, elle partira avant l’arrivée de la personne qui lui succédera et ne pourra pas lui passer le témoin.

Bernard Bourlès, ichtyotaxidermiste à Concarneau

Pour terminer, je vous propose de découvrir un autre métier, encore plus rare que les trois autres, celui de Bernard Bourlès.

Installé depuis 2003 à la Station Marine de Concarneau, il est taxidermiste. Comme tous les taxidermistes, son métier consiste à donner aux animaux morts l'aspect qu'ils avaient de leur vivant. Mais lui s’est fait une spécialité : les poissons.

Il naturalise des spécimens que des chercheurs ou des pêcheurs de la station viennent lui confier.

Comme Samuel Iglesias. Cet enseignant-chercheur, ichtyologue à l’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité vient régulièrement lui apporter des spécimens qui viendront enrichir les collections du Muséum national d’histoire naturelle.

Car si les poissons sont d’habitude conservés dans l’alcool il arrive que, lorsqu’ils sont trop gros pour rentrer dans un bidon, par exemple, on préfère les naturaliser.

Le jour de ma visite Samuel Iglesias est venu déposer à Bernard Bourlès une ombrine côtière, un poisson qu’on retrouve en principe plutôt dans les eaux méridionales mais qui avait été pêché sur les côtes bretonnes, effet du réchauffement climatique.

C1429 - 04:35 - « Depuis que vous êtes arrivés ici, combien de poisson avez-vous naturalisé ? Depuis que je suis ici, j’ai du naturaliser 1500 poissons, je pense. 1500 poissons ? La pièce dont vous le plus fier ? (…) Euh… c’est pas facile de répondre à cette question. Celle qui a été la plus compliqué ? Est-ce que c’est cet espadon qu’on voit derrière vous ? …. -> 05:35

On le comprend en voyant travailler Bernard Bourlès, l’ichtyotaxidermie est un art en soi. La naturalisation d’un poisson passe par de nombreuses étapes.

Pour faire très schématique, il faut prendre les mesures du poisson, lui enlever délicatement sa peau, avant de la replacer sur un mannequin en polystyrène, comme celui-là, pour redonner du volume au poisson et une apparence naturelle. Il faut ensuite recoudre la peau du poisson sur le polystyrène, lui ajouter des yeux en verre. Et le poisson est ensuite recolorisé à l’aérographe. (C1429-6:39).

Au total, pour il faudra environ 12 heures de travail pour naturaliser l’ombrine côtière que lui a apporté Samuel Iglésias.

C1430 - 1:23
C1431 - mesure et dessin
C1435 - peau poisson

Si la naturalisation des specimens de poisson est utile aux chercheurs, elle permet aussi de montrer la biodiversité au grand public, par exemple dans le cadre d’une exposition. Quand je suis allé le voir, Bernard Bourlès participait justement au montage d’une exposition organisée dans la station marine de Concarneau.

C1436 - 02:02 « xxx »

Si vous ne connaissiez pas le métier de Bernard Bourlès, c’est plutôt normal. C’est l’un des très rares représentants de sa profession.

00:19 - « Des ichtyotaxidermistes, il y en a très peu, je dois être un des seuls pratiquement - en France ? - on est très peu ; qui le font professionnellement, on doit pas être très nombreux. »

C1436 - 01:12 - « Qu’est-ce qui vous plait le plus dans ce métier à part ? Ce qui me plait le plus, c’est le résultat. C’est de réussir à faire quelque chose d’esthétique. »

04:16 : «  Qu’est-ce qui se passe quand Bernard Bourlès décide de raccrocher les gants ? - Il peut pas. - C’est plus qu’une profession, c’est une passion. Si j’étais en retraite j’en profiterai pour naturaliser des poissons ! »


Comme Bernard Bourlès, Brigitte Spiteri, Thierry Pain ou Sophie Fernandez, nombreuses et nombreux sont ces artisans de la science, qui participent directement au progrès des connaissances en apportant leurs savoirs-faire, bien sûr, mais en apportant aussi une approche sensitive, sensible, dont on aurait tort de priver la science.

Et puisque tout le monde ou presque s’accorde à dire aujourd’hui qu’il faut développer la culture scientifique en France, est-ce que ça ne vaudrait pas le coup de parler davantage de ces métiers méconnus voir ignorés du grand public, si essentiels à la recherche ?

La réponse est dans la question.