Welcome Back, Fariba

Il est 16:18, ce mercredi 18 octobre 2023, lorsqu’un nouveau mail fait retentir une notification dans ma messagerie. Expéditeur : Béatrice Hibou. Objet : « Fariba de retour en France ». Dans une actualité si sombre, cette nouvelle me fait l'effet d'un rayon de soleil. 

Fariba, c’est Fariba Adelkhah. Depuis plus de quatre ans, cette anthropologue franco-iranienne était détenue en Iran. Le 5 juin 2019, sans explication, elle et le sociologue Roland Marchal, tous deux chercheurs à Sciences Po, sont interpellés à Téhéran et emprisonnés à la prison d’Evin.

L’annonce de cette incarcération aussi injuste qu'absurde fait alors l’effet d’une bombe sur leurs proches. Mais la mobilisation en faveur de la libération de ces deux « prisonniers scientifiques » ne s’engage pas tout de suite.

Au début, le Quai d’Orsay espère une libération rapide et demande aux amis et à la famille des deux scientifiques de ne pas parler de cet emprisonnement. La presse iranienne ne révèle la détention de Fariba Adelkhah que le 15 juillet 2019. Et il faudra attendre 3 mois de plus pour que celle de Roland Marchal soit à son tour annoncée.

Compliqué, jusqu’à ces dates, d’engager une vraie mobilisation. Mais celle-ci se met ensuite vite en place sous la forme d'un comité de soutien emmené par Béatrice Hibou, chercheuse à Sciences Po. Avec un seul mot d’ordre : la libération inconditionnelle et immédiate de la chercheuse et du chercheur. Collègues, amis, collaborateurs sont contactés, et invités à agir pour dénoncer cette incarcération. Le traducteur de Fariba Adelkhah va même jusqu’à contacter son député… sans grand succès. Un site plaidant la cause de Fariba est créé, et plusieurs manifestations organisées.

C’est vrai, toutes les voix ne sont pas parfaitement au diapason. Pour des raisons idéologiques, certains chercheurs étrangers ne soutiennent la cause de Fariba que du bout des lèvres et, en France, l’attitude de certains organismes confine à l’attentisme.

Si Sciences Po s'engage d’emblée aux côtés du comité de soutien de Fariba Adelkhah, la direction du CNRS ne reçoit les représentants du collectif que le 19 février 2020. La demande du comité de soutien de suspendre « la coopération scientifique institutionnelle avec l’Iran », demande appuyée notamment par l'IEP de Paris et l'EHESS, restera lettre morte.

Malgré la mobilisation, les nouvelles, hélas, vont de mal en pis.

En décembre 2019, Fariba Adelkhah se met en grève de la faim. Affaiblie, elle doit être hospitalisée en février 2020 à Téhéran. Si Roland Marchal est libéré en mars 2020, Fariba Adelkhah est condamnée le 16 mai 2020, après un procès aux allures kafkaïennes, à cinq ans de prison pour « collusion en vue d'attenter à la sûreté nationale » et un an pour « propagande contre le système » par la justice des Gardiens de la Révolution.

En réalité, comme me l’expliquera plus tard Roland Marchal lui-même dans un live que je consacrais à Fariba, l’emprisonnement de la chercheuse s'inscrit « dans une dynamique d'arrestations d'Iraniens accusés de vouloir contourner les sanctions américaines contre l'Iran ».

L'annonce de la condamnation de Fariba est terrible. Mais la mobilisation en faveur de la chercheuse franco-iranienne ne faiblit pas. Elle s’enracine, se déploie et prend des formes multiples. Pendant de long mois, pendant plusieurs années, le comité de soutien n'a rien lâché.

Où les membres du collectif ont-il trouvé l’énergie de continuer le combat, quand tout semblait perdu ? Plusieurs membres du comité de soutien m’ont expliqué que, bien qu’ils ne se faisaient pas d’illusions sur le succès de leurs actions, ils continuaient notamment parce que, « à chaque fois que nous avons un contact avec les victimes, celles-ci nous disent combien il est important pour elles de n’avoir pas été oubliées. »

Dans ces histoires terribles, on oublie parfois de soutenir celles et ceux qui soutiennent. Je termine donc cet édito avec une pensée pour toutes celles et ceux qui, pendant des mois et des années, ont supporté l’attente et combattu l’oubli.

Bienvenue chez vous, Fariba. Et bravo à vous, Béatrice.


🍒 Cherry Picking

Une sélection de liens 100% subjective

  • Pourquoi ne lit-on les rapports du GIEC ? "Parce que c'est écrit tout petit et qu'il n'y a pas de jeu concours". A Grenoble, des créations visuelles très drôles relayées par Valérie Masson-Delmotte.
  • La diminution des collaborations scientifiques entre Chine et États-Unis ouvre-t-elle une nouvelle période de la recherche mondiale ? Oui, pour ces auteurs.
  • Dans cette étude, 246 chercheurs en écologie et en biologie évolutive obtiennent des résultats différents en partant des mêmes ensembles de données. Oups.
  • Pour partager les savoirs, plus d'interactions, moins de communication : c'est la recette du Dr Volker Meyer-Guckel, interviewé ici.