On a vu "Radioactive", le biopic de Marjane Satrapi, avec trois spécialistes de Marie Curie. Verdict ?

Radioactive, un biopic sur Marie Curie réaliste ? On en a discuté avec Natalie Pigeard, historienne spécialiste de Marie Curie, Renaud Huynh, directeur du Musée Curie, et Peter Reinhardt, enseignant-chercheur au laboratoire de chimie de Sorbonne Université.

Un article rédigé par Margot Brunet.

Radioactive, biopic sur Marie Curie-Sklodowska, paraîtra en salle demain, le 11 mars. Le nouveau film de Marjane Satrapi retrace la vie de cette chercheuse, la découverte de la radioactivité, mais aussi ses relations avec Pierre Curie, son mari, ou encore Irène, sa fille. Le scénario est-il fidèle à la réalité historique ? C’est ce que nous sommes allés demander à Natalie Pigeard, historienne spécialiste de Marie Curie, Renaud Huynh, directeur du musée Curie, et Peter Reinhardt, enseignant-chercheur au laboratoire de chimie de Sorbonne Université.


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Grand Labo : Quels sont les points forts et les faiblesses de ce film ?

Peter Reinhardt : Le bon point, ce sont certains aspects relatifs à la vie de la recherche que l’on voit rarement dans les œuvres consacrées à Marie Curie. Marjane Satrapi a vraiment pris soin de dépeindre la vie du laboratoire. [...] En revanche, j'ai regretté que les rapports de Marie Curie avec certaines femmes avec lesquelles elle travaillait régulièrement n’y soient traités qu’assez superficiellement. On en voit certaines apparaître subrepticement dans le film, notamment lors du discours de Marie Curie en 1911 devant l’Académie des Sciences de Suède à Stockholm. Mais on ne voit que très peu les laborantines du laboratoire de Marie Curie, qui l’ont pourtant aidé dans ses démarches. Marie Curie a aussi fait appel à l’Union des femmes de France, et tout cela je ne l'ai pas vu dans le film. Côté féminisme, j’en attendais plus.

Renaud Huynh : Le premier mérite du film, c’est d’abord de parler de Marie Curie et de faire connaître son existence, notamment aux jeunes, pour qui ce nom n’évoque souvent rien d’autre qu’un nom d'établissement scolaire. Il faut aussi souligner la qualité de la réalisation. L’image est très belle, les décors sont plutôt réalistes, d'ailleurs l'équipe du Musée Curie y a un peu contribué ! Je trouve également la performance de la comédienne très crédible : c’est très difficile d'interpréter Marie Curie. Rosamund Pike, je trouve, est bien dans ce rôle.

Mais la plus grande faiblesse de ce film à mes yeux est de mélanger la science de la radioactivité, la découverte de ce phénomène, le progrès de la connaissance et la question de ses applications civiles ou militaires. Le film mêle des considérations issues de périodes différentes. Le scientifique qui met au jour un phénomène est-il responsable des applications qui seront faites plus tard de sa découverte ? C’est la question que semble poser la réalisatrice. J'espère que les spectateurs se la poseront aussi, mais je ne suis pas certain, en définitive, que l’on n’entretienne pas la confusion entre radioactivité et nucléaire...

Natalie Pigeard : Je rejoins Renaud, le film est très beau, les images sont belles, les acteurs sont bons, l’actrice qui joue Marie Curie est douée. Et puis cette recherche qui est mise en valeur, c’est très important.

Mais il est vrai que le raccourci qui est fait historiquement entre radioactivité et Hiroshima sous-entend qu’il y aurait une conséquence directe de l’une à l’autre. Ce qui est faux, parce qu'il va y avoir après plein d'autres découvertes, d’autres équipes, ne serait-ce que celles d'Irène et Frédéric Joliot-Curie. Tout cela ce n'est pas l’œuvre de Marie Curie mais de chercheurs, d'équipes, qui ont continué la recherche sur la radioactivité.

Natalie Pigeard et Renaud Huynh © Grand Labo

Ceci étant, j'ai beaucoup aimé la partie dans laquelle Pierre Curie fait son discours de prix Nobel sur les dangers ou les bienfaits d’une découverte scientifique, et le fait qu'elle le coupe avec des 'images de Hiroshima. Je pense que la volonté de la réalisatrice était justement de faire prendre conscience au chercheur de sa responsabilité en tant que citoyen : pour moi, sur ce point, c’est une réussite.

Le film pêche en revanche par beaucoup d’approximations, voire d’erreurs historiques. Cela concerne notamment les prises de position ou attitudes de certains personnages. Dommage, par exemple, pour les descendants de Lippmann, de voir un père aussi odieux… Et les anachronismes ! Mais c’est un beau film...

Grand Labo : Renaud Huynh, parler de Marie Curie, c’est ce que vous faites au musée Curie, et ce que vous avez fait au Panthéon en 2018, lors de l’exposition qui lui était consacrée. Quel est l’aspect qu’il est primordial de montrer à propos de Marie Curie selon vous ? La femme scientifique ou la scientifique en général ?

Renaud Huynh : A l’exposition, la facette scientifique n'était pas centrale car tout le monde la connait. Ce que nous voulions, c'était montrer la personne derrière la scientifique illustre. On a donc choisi de montrer des films personnels, des choses qui la rendent plus humaine que ce que renvoient ces images en noir et blanc, sur lesquelles elle sourit très peu. C'était un peu ça l’objectif, mais aussi bien sûr de faire connaître sa vie et son œuvre

Au musée c’est un peu différent, car ce n’est pas le musée de Marie Curie uniquement. Évidemment, le public vient parce que c'est le labo qu'elle a dirigé pendant 20 ans.[...] On a une partie biographique de ces personnages. Dans le reste du musée, il y a un espace qui présente les applications médicales de la radioactivité, mais aussi la découverte par les Joliot-Curie de la radioactivité artificielle. Tout cela est centré sur deux pièces historiques : le bureau et le laboratoire qu’ont occupé Marie Curie, mais aussi André Debierne et Irène et Frédéric Joliot-Curie.


Quelques livres à lire sur Marie Curie :

  • Curie, Eve, Madame Curie, Gallimard coll Folio, 1938 (reed : 1983)
  • Augustin, M. – Pigeard-Micault, N – Langevin H, Marie Curie une femme dans son siècle, Grund, 2017
  • Quinn, S. Marie Curie, une vie. Odile Jacob, 1996
  • Langevin, H. – Bordry, M. Marie Curie et ses filles : lettres. Pygmalion, 2011
  • Pigeard-Micault, N – Massiot, A. Marie Curie et la Grande Guerre, Glyphe, 2014
  • Henry, N. Les Sœurs savantes. Vuibert, 2015
  • Radvanyi, Pierre, Les Curie, pionniers de l’atome. Belin, 2005

Et quelques films à voir :

  • « Marie Curie, au-delà du mythe » (52’’, Arte les films d’un jour, 2011)
  • « Marie Curie, une femme sur le Front » (90’’ France 2 Capa Drama 2014)