SOS thèse cauchemar

Live avec Adèle B. Combes, autrice de "Comment l'université broie les jeunes chercheurs".

C’est l’histoire de Laurine, Baptiste et Sarah. Laurine est géologue, Baptiste biochimiste, Sarah anthropologue. Ils sont trois jeunes passionnés par leur discipline, ils commencent une thèse et vont pénétrer progressivement dans ce qu’il convient d’appeler un véritable enfer : vexations, humiliations, isolement, vol de travaux, etc.

Ces trois histoires, qui illustrent ce que des directrices et directeurs de thèse peuvent faire subir à leurs étudiants, sont au cœur du livre d'Adèle B. Combes, "Comment l'université broie les jeunes chercheurs", auquel était consacrée l'émission de mardi.

Basée sur une enquête menée auprès de plus de 1 800 jeunes chercheurs, l'ouvrage s'inscrit dans la longue série des enquêtes journalistiques, essais, blogs et bandes dessinées qui dénoncent la situation de détresse que traversent nombre de jeunes chercheuses et de jeunes chercheurs.

Certes, on ne saurait résumer l'expérience doctorale en France à ces situations extrêmes - et heureusement. Comme l'explique Sylvie Pommier, l'enquête du Réseau national des collèges doctoraux (RNCD), parue début janvier et menée auprès de 11 545 doctorants et doctorantes, montre que l'essentiel des répondants sont satisfaits des conditions dans lesquelles se déroulent leur doctorat.

Mais la question des harcèlements subis par une part non négligeable de ces jeunes professionnels de la recherche, par contraste, n'en paraît que plus vive. Comme elle l'explique dans l'émission, Pascale Haag, chercheuse à l'EHESS, avait déjà mis en évidence "un vrai sentiment d'abandon de la part des jeunes chercheurs répondants" au gré d'une enquête réalisée en 2014-2015.

Ce sentiment d'abandon, Jeanne Perrier, docteure et co-animatrice du podcast Thésard-es, et Fabien, qui tient le blog de Ciel Mon Doctorat, ont eu l'occasion de le rencontrer dans le cadre de leurs initiatives.

Reste que, pour Sylvie Pommier, s'il faut en finir avec l'idée qu'il serait normal que les jeunes chercheurs souffrent pendant leur doctorat, il n'en faut pas moins informer les doctorants de la difficulté de l'exercice de la thèse. "Il peut arriver que le doctorant passe par des phases de désarroi et de démotivation ; ce n'est pas la même chose que du harcèlement", explique-t-elle.

Sortir du cauchemar

Mais vers qui se tourner, lorsque l'on subit le harcèlement d'une personne sensée vous encadrer, celle-là même qui a, en tant que jeune chercheur, le plus de pouvoir sur vous ? Dans de tels cas extrêmes, le comité de suivi de thèse n'est pas le bon lieu d'expression. Sa composition n'est d'ailleurs pas toujours de nature à garantir que le doctorant puisse s'y exprimer librement, comme l'illustre le livre d'Adèle Combes.

S'il s'agit de pratiques douteuses scientifiques, ce sont les référents "intégrité scientifique" de l'université dont dépendra le jeune chercheur qu'il faut rencontrer. Si c'est de souffrances psychologiques et de harcèlement dont il est question, la médecine du travail ou la cellule harcèlement de l'université demeurent les interlocuteurs à consulter absolument.

Au-delà des moyens progressivement mis en place dans les universités et les écoles doctorales, la question se pose de la représentation des jeunes chercheurs. Dans l'ouvrage d'Adèle Combes, il en est fait peu mention. La Confédération des Jeunes Chercheurs et l'Association nationale des docteurs portent pourtant des questions relatives à la place du doctorat dans la société depuis de nombreuses années. Julie Crabot (CJC) et Nicolas Soler (ANDès) reviennent sur les actions de ces deux associations et appellent de leurs vœux une plus grande participation des doctorants aux associations locales.

Simon Thierry, cofondateur du cabinet Adoc Métis, insiste, en fin d'émission, sur la nécessité de former les chercheurs et enseignants-chercheurs à l'encadrement doctoral. Mais ces enseignants-chercheurs qui acceptent de participer à des formations de ce type, ne sont-ils pas justement ceux qui, au fond, en ont le moins besoin ? N'est-ce pas le propre du chercheur toxique, imbu de sa personne, de se croire trop bon pour condescendre à suivre de telles formations ?

Alors ? Faut-il intégrer à l'évaluation des chercheurs la participation à ces formations ? Ou les rendre obligatoires ? Fausses pistes, selon Simon Thierry, qui estime qu'une formation ne peut fonctionner sans une démarche volontaire de la personne formée.

Dans tous les cas, pour Simon Thierry, "il ne faut pas faire porter sur les jeunes chercheurs et les associations la responsabilité d'éviter les situations de harcèlement !" Et plutôt inciter toutes celles et ceux qui sont tenus d'assurer le respect de la loi (les responsables d'écoles doctorales, les responsables d'unité de recherche, les vices présidents d'université), à suivre des telles formations.