Votez "SCIENCE" !

PAS BESOIN de lire cette newsletter pour le savoir : la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation à la hâte d’élections législatives auront eu l’effet d’une bombe dans la vie politique française.

Mais dans la vie scientifique aussi ces échéances électorales et la probabilité que l’extrême-droite arrive au pouvoir auront eu un impact. En témoignent les réactions de la communauté scientifique à cette crise : par leur diversité et leur nombre, elles sont largement inédites.

Certes, les chercheuses et chercheurs d’aujourd’hui ont pris l’habitude de prendre la parole publiquement sans doute davantage que ne le faisaient leurs aînés. Mais, même véhémentes, ces interventions citoyennes se faisaient d’abord au nom d’une expertise scientifique définie.

Par exemple, lorsqu’un collectif de climatologues se joint aux manifestations contre la construction de l’autoroute A69, c'est pour dénoncer un chantier dont le principe même entre en contradiction avec les recommandations du GIEC, issues d’un consensus scientifique.

Jusqu’à présent, les chercheuses et chercheurs n’intervenaient guère pour commenter les vicissitudes de notre vie politique.

Depuis l’annonce des législatives et le spectre d’une possible arrivée de l’extrême-droite au pouvoir, les choses changent.

Scientifiques, responsables d'organismes de recherche, vulgarisatrices et vulgarisateurs... de nombreuses voix s’élèvent depuis deux semaines pour alerter l’opinion publique sur ce qu’un gouvernement Rassemblement National signifierait pour la science et le partage des savoirs.

Au-delà de la variété des registres et des canaux employés, trois inquiétudes majeures s’expriment.

Trois inquiétudes

La première, c’est celle de voir remise en cause la pleine liberté des échanges internationaux nécessaires à la construction des savoirs. On le sait au moins depuis Pasteur, « la science n'a pas de patrie ».  

Ce mardi, une tribune parue dans Le Monde et signée par plus d’une centaine de chercheuses et de chercheurs - les signataires vont du Prix Nobel au doctorant - expliquait que « dans la recherche scientifique académique, le pays compte environ 40 % de doctorants et 20 % de chercheurs étrangers sur son sol (...). Le repli sur soi que provoquerait inévitablement la politique migratoire prohibitive souhaitée par l’extrême droite restreindrait l’accueil de ces chercheurs et chercheuses étrangers, pourtant indispensables à la diversité, à la richesse et à la vigueur de notre recherche. »

Même crainte exprimée du côté des "passeurs". Comme Julien Bobroff. Ce physicien et vulgarisateur très suivi sur les réseaux sociaux s’est fendu il y a quelques jours et pour la première fois d’une vidéo « politique » en appelant clairement à voter contre le RN : « La recherche est internationale ! Il faut se souvenir, quand même, que Marie Curie, c’est une émigrée Polonaise ! (…) Toute l’histoire des sciences montre le danger du repli national. »

Autre inquiétude : celle d’un grand bond en arrière en matière de lutte contre le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Mardi, le Nouvel Obs relayait ainsi un cri d’alarme : « c’est un monde bétonné, goudronné, pollué, en surchauffe et sans vie que nous promet le RN ».

Rédigé par le collectif Extinction en Rébellion, les auteurs de cette tribune revendiquent 2500 scientifiques signataires. Parmi elles, des personnalités comme Valérie Masson-Delmotte, qui avaient jusqu’ici témoigné d’une certaine réserve à l’égard des modes d’action du collectif, jugés à la fois radicaux et inefficaces. Preuve supplémentaire que les lignes bougent.

Enfin, dernier motif de crainte de voir le RN arriver à Matignon : le rapport plus que problématique de ce parti politique à la démarche scientifique et à la science en général.

« Ne laissons aucun obscurantisme nous envahir » déclaraient ainsi d'une même voix, le 23 juin dans Le Monde, 900 membres de la communauté scientifique et médicale, dont les PDG de l’INSERM, d’INRAE et du CNRS. Les signataires de cette tribune y mettaient en garde « contre toute négation de la vérité qui pourrait provoquer des décisions politiques désastreuses, comme on le vit pendant la crise du Covid-19 dans plusieurs pays. »

Cette défense, contre tous les extrêmes, des principes qui sous-tendent la recherche scientifique, c’est peut-être Benjamin Brillaud, créateur de la chaine YouTube Nota Bene, qui en parle le mieux.

Dans une vidéo diffusée il y a six jours, le vidéaste dénonce les messages de haine et de menaces que son équipe et lui reçoivent de plus en plus. Car, par les temps qui courent, la présentation nuancée et informée de certains sujets historiques est la proie de toutes les factions, de gauche comme de droite. Même si, précise Benjamin Brillaud, « depuis des années, il n’y a aucun mouvement politique qui a été plus virulent que l’extrême droite, dans le fait de vouloir défendre sa vision romancée de l’histoire - et cela, par la terreur. »

Alors que le premier tour arrive à grand pas, pas sûr que toutes ces prises de parole suffisent à faire entendre raison aux électeurs d’un mouvement qui, selon l'expression de son vice-président, « est à la politique ce que Didier Raoult est à la science ». 

Mais c’est tout à l’honneur d’une grande partie de la communauté scientifique, dans sa diversité de métiers et de disciplines, que d'être sortie de sa réserve avant, peut-être, qu'il ne soit trop tard.🤞