"Débunker" l'histoire des sciences ?

L'histoire des sciences est pleine de légendes et d'anecdotes qui font des jolies illustrations dans les livres. Newton concevant la loi universelle de la gravitation en voyant tomber une pomme dans le jardin de sa mère. Archimède qui, tout nu sorti de son bain, se jette dans la rue en criant "Eurêka !". Galilée, depuis le haut de la Tour de Pise, menant une expérience sur la chute des corps. Etc.

Dans son dernier livre, "Et la pomme ne tomba pas sur la tête de Newton", Antoine Houlou-Garcia tord le cou à ces mythes, en expliquant leurs origines. Du simple malentendu à la pure manipulation en passant par le grossier panégyrique, les raisons pour lesquelles un mensonge devient une légende sont variées.

Parmi ces raisons, il y a les guerres d'ego entre savants.

C'est le cas avec Newton et sa fameuse pomme. Comme l'explique Antoine Houlou-Garcia dans l'interview diffusée cette semaine, c'est Newton lui-même qui semble raconter cette histoire à ses proches... 60 ans après.

En réalité, si le célèbre physicien évoque cette anecdote peu de temps avant sa mort, c'est pour sa postérité. Il veut qu'on retienne de lui qu'il a eu l'idée de la gravitation avant tout le monde, et qu'il ne doit rien aux travaux de deux de ses éminents concurrents : Hooke et Leibniz, qui ont aussi revendiqué la paternité de cette découverte.

Les anecdotes n'ont ainsi rien d'anecdotique. Elles révèlent des jeux de pouvoirs, des luttes internes à la communauté scientifique, parfois des tentatives de manipulation de l'opinion.

Mais, demandera-t-on, toutes ces petites histoires ne sont-elles pas inoffensives, après tout ? Pas de quoi fouetter un chat, non ? 

Eh bien - révérence gardée à la gente féline - si, il y a de quoi. Car ces histoires ont des effets délétères sur nos représentations de la science en général. Elles entravent notre compréhension de ce que sont hypothèses, expériences, théories, etc. Et elles insultent parfois notre bon sens.

C'est flagrant avec l'expérience de Galilée en haut de la Tour de Pise.

Pour contredire Aristote et montrer que, lorsqu'ils chutent dans le vide, tous les corps tombent à la même vitesse quelle que soit leur masse, Galilée aurait laissé tomber deux poids de masses différentes du haut de la Tour, et les poids seraient arrivés en même temps au sol.

Cette légende, rapportée par Vincenzo Viviani, le "biographe" de Galilée, est doublement fausse, et même un peu idiote. D'abord, ce n'est pas Galilée qui a fait cette expérience mais un dénommé Giorgio Coresio, et ce pour donner raison à Aristote. Ensuite, évidemment, les deux poids ne sont pas arrivés au sol ensemble, frottement de l'air oblige. Galilée réalisera bien une expérience pour mettre en évidence la loi de la chute des corps, mais en faisant rouler des billes sur un support incliné.

Reste que cette légende est encore racontée aujourd'hui, trahissant chez celles et ceux qui la partagent une connaissance somme toute relative de certaines lois physiques.

Démêler le vrai du faux dans ces mythes, c'est donc tout sauf un passe-temps d'historien pinailleur. C'est un devoir consistant à chasser de nos imaginaires collectifs des représentations erronées et souvent idéalisées de l'activité scientifique.

La tâche n'est pas simple, car les légendes ont la vie dure - longévité qui s'explique sans doute par notre goût pour les histoires simples et par les figures emblématiques.

Antoine Houlou-Garcia, à la fin de son livre, souligne pourtant que l'histoire des sciences mérite un peu mieux : « Ces légendes, ces fausses citations qui pullulent dans les livres, les articles, les sites Internet et les réseaux sociaux sont mauvaises pour la conception que nous avons de la science et de l’histoire des sciences, mais sont également mauvaises pour la société. »

A l'heure où le développement de la culture scientifique et technique est devenu un enjeu social majeur, offrir une histoire des sciences débarrassées de ces mensonges mais tout aussi passionnante et inspirante, voilà un défi de plus à relever pour les historiens et vulgarisateurs.


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  • Matilda, plateforme bibliographique et bibliométrique pour la science ouverte, vient d'ouvrir. Un outil qui "vise à se substituer aux outils bibliométriques des bases de données commerciales et à la hiérarchisation opaque de Google Scholar".