Méconnus, mais essentiels !

Bien des vulgarisatrices et vulgarisateurs vous le diront : faire comprendre un résultat scientifique à un public non expert relève souvent de la quadrature du cercle. Il faut aller à l’essentiel et, sans utiliser de jargon, rester le plus précis possible. Être exact, sans être exhaustif.

Et, parfois, pour séduire le lecteur ou l’auditeur, lui « raconter une histoire ». Avec un début, un milieu, une fin et des protagonistes principaux. En l’espèce, le plus souvent : des chercheuses et des chercheurs, qu’il peut être tentant de présenter un peu comme des « héros de la science ».

Cette starification - si on peut dire - des chercheuses et chercheurs n’est pas mal intentionnée. Mais cette habitude que nous avons prise de présenter une recherche scientifique en nous concentrant exclusivement sur la personne qui en a dirigé les travaux comporte deux écueils.

Le premier : elle a tendance à gommer la dimension collective de la recherche. Le deuxième - son corollaire : par goût du storytelling, nous mettons à l’écart du récit toutes celles et ceux qui, sans être chercheuses ou chercheurs, ont contribué aux travaux de recherche dont il est question : ingénieurs, techniciens, personnels administratifs

C’est vrai, cette « invisibilisation » ne date pas d’hier. Combien de « garçons de laboratoire », comme on les appelait alors, auront par exemple aidé à concevoir une expérience décisive ayant débouché sur une découverte, mais auront été oubliés ? L’histoire des sciences ne s’attarde pas beaucoup sur ces « petites mains de la recherche », comme les appelle Françoise Waquet.

C’est peut-être normal, mais c’est bien dommage.

D’abord, parce que cela laisse penser à tort que la science n’est faite que par des chercheuses et des chercheurs.

Ensuite, parce que beaucoup de ces professions sont vraiment passionnantes et que parler d’elles, c’est parler de la dimension la plus artisanale de la science, celle-là même qui pourrait toucher celles et ceux qui ne se sentent pas concernés par la dimension théorique de l’activité scientifique.

C’est de ce constat que part l’idée du dernier épisode de Grand Labo, sorti cette semaine et consacré aux métiers méconnus de la recherche.

J’ai rencontré une illustratrice scientifique au Muséum national d’Histoire naturelle, un souffleur de verre à l’Université de Rennes, une lithopréparatrice à l’Université de Bordeaux et un ichtyotaxidermiste à la station marine de Concarneau.

Si leurs métiers sont très différents, ces professionnels partagent deux choses.

D’une part, la passion : ils ne comptent par leurs heures, c’est le moins que l’on puisse dire. Et certains, comme l’ichtyotaxidermiste Bernard Bourlès, n’envisagent même pas de devoir partir à la retraite !

La science au bout des doigts

L’autre point commun, c’est l’approche sensible de ces métiers, qui a donné à ces femmes et à ces hommes un sens de l’observation inégalable. L’exemple typique est celui que donne l'illustratrice Sophie Fernandez au début de la vidéo : dessiner un fossile, c’est avant tout savoir l’observer, parfois de façon si minutieuse qu’on en vient à y découvrir des choses que la ou le scientifique avec qui on travaille n’avait pas vu !

On est bien là dans toute autre chose qu’une simple exécution de tâches : il entre dans ces métiers une part manifeste de créativité dont on aurait tort de priver la science.

C’est là, justement, que le bât blesse. Tous ces métiers, qui supposent la maîtrise de savoir-faire techniques précieux, risquent de disparaitre petit à petit si l'on n'y prend pas garde. Les postes, dans bien des cas, ne sont pas renouvelés. Beaucoup sont externalisés dans des entreprises privées. C’est typiquement le cas des souffleurs de verre, comme me l’expliquait Thierry Pain.

Pire : même quand un recrutement intervient après un départ en retraite, il arrive que le professionnel qui part ne puisse former celui qui doit le remplacer, faute pour l’administration de savoir organiser un « tuilage » digne de ce nom. Lorsque Brigitte Spiteri, la lithopréparatrice qui part à la retraite en septembre sans pouvoir former son successeur, m’a expliqué cela, les bras m’en sont tombés, je dois le dire.

Ainsi les savoir-faire se perdent-ils en silence. Dans un monde comme celui de la science, c’est plus qu’un paradoxe : un crime de lèse-majesté.


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